Le BAPE : légitime, pertinent, compétent
Les réactions de CDPQ Infra, du milieu des affaires et de plusieurs élus au rapport du BAPE sur le projet de réseau électrique métropolitain (REM) convergent : celui-ci doit aller de l’avant tel que conçu et sans attendre. Selon eux, les raisons invoquées par le BAPE pour conclure qu’il est prématuré d’autoriser ce projet sont irrecevables parce que les questions sur lesquelles la commission d’enquête s’est prononcée outrepassent son mandat ou ont été adéquatement documentées par CDPQ Infra.
Ces réactions sonnent l’alerte sur deux dérives qui menacent gravement notre cheminement vers le développement durable ainsi que la santé démocratique de notre société, d’où l’intervention publique des soussignés.
La première dérive met en cause l’appareil législatif et institutionnel que le Québec s’est donné depuis 40 ans en matière de protection de l’environnement, d’aménagement et de gestion du territoire, et de participation citoyenne. Cet appareil s’inscrit dans la dynamique générale du développement durable, selon des principes aujourd’hui universellement reconnus d’inclusion et de mise en balance des enjeux environnementaux, sociaux, économiques et financiers. C’est la prise en considération dynamique de l’ensemble de ces volets qui permet de cheminer vers le développement durable.
En évacuant les dimensions économiques de l’évaluation environnementale des projets, le Québec reculerait dans le peloton de queue des États modernes.
La deuxième dérive touche le contrôle de l’information. CDPQ Infra a mené avec maestria le processus de communication de son projet, tant pour le contenu des messages que pour l’encadrement de leur diffusion et la gouverne des échanges avec les autres parties prenantes ou le public. Sa tâche était facilitée du fait que le REM a tout pour séduire : un projet d’envergure auquel seul le métro peut se comparer, une technologie d’avant-garde, une réponse à la lenteur qui afflige les autres projets de transport collectif, etc.
Aucun d’entre nous ne conteste qu’il y ait urgence à développer le transport collectif à Montréal, qu’un système de transport rapide relie enfin la Rive-Sud et le centre-ville en misant sur la construction du nouveau pont Champlain, et qu’il convienne de recourir aux technologies avancées les plus appropriées. Il n’en demeure pas moins qu’en raison même de son envergure exceptionnelle, le REM sera porteur d’énormes répercussions sur les finances publiques, l’offre en transport et l’aménagement du territoire.
Il est normal que les municipalités et les populations concernées s’intéressent au REM dans les détails. Il est également normal que ce grand projet fasse l’objet d’examens indépendants comme ceux dirigés par le BAPE et la CPTAQ. Or, les réactions de nos dirigeants politiques et de CDPQ Infra à l’avis de la CPTAQ, en octobre dernier, et au récent rapport du BAPE indiquent qu’ils font peu de cas de leur rôle dans le processus démocratique.
En cela, nos dirigeants et CDPQ Infra affichent à l’endroit de ces organismes un mépris que les autres grands gestionnaires d’infrastructures publiques n’ont jamais manifesté.
Il y a peu, toute la région de Montréal, élus en tête, se mobilisait contre le projet de pipeline Énergie Est, reprochant à son promoteur de se faire avare d’informations et d’études pertinentes, déposées en temps utile. Le consensus d’alors reposait sur des prémisses et un raisonnement analogues à ceux qui soutiennent les questions du BAPE. Du reste, les exemples ne manquent pas à propos de projets qui, faute de planification adéquate, sont restés inutiles même si nous en payons encore le prix, ou dont les dépassements grèvent encore le Trésor public.
Le BAPE demeure l’un des plus importants lieux pour l’examen objectif d’un projet et pour un débat public crédible. Il possède la légitimité, la compétence et l’indépendance nécessaires, autant d’attributs qui rendent son intervention encore plus opportune lorsqu’il s’agit d’un projet majeur d’intérêt collectif réalisé avec les deniers publics. L’envergure du projet de REM aurait dû guider le ministre du Développement durable, de l‘Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques tant pour les exigences relatives à l’étude d’impact que pour le temps à accorder au BAPE pour l’examen public du projet. Au lieu de quoi il a précipité l’acceptation de l’étude d’impact et télescopé l’ensemble du processus, si bien que des documents importants n’ont été remis qu’en décembre, à quelques jours du dépôt du rapport, l’analyse de la commission étant pratiquement complétée.
Rappelons en terminant que pour réaliser leur mandat, les commissaires du BAPE disposent des pouvoirs et de l’immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête. Il ne viendrait à personne l’idée de traiter une commission d’enquête ou un tribunal de façon aussi cavalière que le BAPE l’a été ces derniers jours.
Le dérapage d’une démarche démocratique prévue par la loi peut conduire au détournement du but de l’exercice qui est d’élaborer le meilleur projet possible et d’éclairer les décisions du gouvernement. Le leadership qu’on attend de celui-ci passe par la prise en compte ouverte et respectueuse des avis des organismes qui ont mandat de les lui donner.
*Les personnes suivantes appuient la présente déclaration d’appui au BAPE : Gérard Beaudet, professeur titulaire, École d'urbanisme et d'architecture de paysage, Université de Montréal ; Laurence Bherer, professeur en science politique, spécialiste de la participation publique ; Paul-André Comeau, professeur associé à l'ENAP, ancien président de la Commission d'accès à l'information ; Suzanne Coupal, juge retraitée, chroniqueuse judiciaire ; Jean Décarie, urbaniste retraité ; Nathalie Dion, présidente, Ordre des architectes du Québec ; Michel Gariépy, urbaniste émérite, professeur émérite, École d’urbanisme et d’architecture de paysage ; Mario Gauthier, professeur titulaire, département des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais ; Peter Jacobs, professeur émérite, École d’urbanisme et d’architecture de paysage, Université de Montréal ; Claudette Journault, biologiste émérite, ex-vice-présidente du BAPE ; Phyllis Lambert, architecte, directeur fondateur émérite du Centre canadien d’architecture ; Jean-François Lefebvre, chargé de cours, DEUT-École des sciences de la gestion, UQAM ; Jean-Claude Marsan, urbaniste émérite, professeur émérite, Université de Montréal ; Florence Paulhiac-Scherrer, professeure, titulaire de la Chaire de recherche In.SITU sur les innovations en stratégies intégrées transport-urbanisme, École des sciences de la gestion, UQAM ; Jean-Pierre Revéret, professeur, codirecteur de la Chaire sur le cycle de vie, École des sciences de la gestion, UQAM ; Dimitri Roussopoulos, fondateur, Centre d’écologie urbaine de Montréal ; Louise Roy, ex-vice-présidente du BAPE ; Franck Scherrer, directeur de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage, Université de Montréal ; Louis Simard, professeur agrégé, École d'études politiques, Université d'Ottawa ; Jean-Philippe Waaub, professeur, département de géographie, UQAM ; Joshua Wolfe, AICP (American Institute of Certified Planners)